ALEXANDRE COLIN, PAYSAGISTE DPLG ET PLASTICIEN, ATELIER COLIN ET POLI PAYSAGES, SAINT-JEAN-D'ILLAC (33) « Le végétal est un climatiseur naturel »
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Votre bureau d'études crée et conçoit des aménagements paysagers, mais s'intéresse également à la problématique du changement climatique. Comment en êtes-vous arrivé à associer ces deux sujets ?
Tout a commencé alors que j'étais étudiant à l'École nationale supérieure d'architecture et de paysage de Bordeaux (33). Cherchant une « utilité » au métier de paysagiste à l'échelle urbaine, j'ai effectué mon stage de dernière année au sein du bureau d'études énergie et environnement ECIC. Olivier Papin, directeur de l'agence bordelaise travaillant sur les problématiques carbones et climatiques, cherchait à rendre concret le volet « adaptation » des Plans climat énergie territoriaux (PCET) qu'il réalise pour différentes collectivités. Il m'a interpellé sur le regard que pourrait avoir un paysagiste sur l'aménagement des territoires dans un contexte de changement climatique. Se projeter dans le futur, voilà ce qui m'a de suite plu, et j'ai étudié cette thématique pour mon diplôme de fin d'études sur le quartier du Burck, à Mérignac (33). Aujourd'hui, notre bureau d'études continue de travailler sur le volet vulnérabilité et adaptation des Plans climat énergie territoriaux, et plus spécifiquement sur les diagnostics et préconisations sur les îlots de chaleur urbains pour les collectivités, toujours en collaboration avec ECIC. Dans chacun de nos projets d'aménagement paysager, nous faisons attention aux choix des matériaux et végétaux afin qu'il reste cohérent avec nos travaux sur les ICU.
Concrètement, quels services proposez-vous aux collectivités ?
Sur les études d'ICU, nous proposons un travail qui va du diagnostic aux préconisations. Dans le volet diagnostic, nous utilisons des cartographies infrarouges à partir des images satellitaires Landsat ; des mesures de températures sur des sites pilotes sur l'ensemble de la période estivale ; des images thermiques infrarouges sur site.
Sur le volet préconisations, nous proposons des plans d'actions afin de lutter contre les effets des ICU de manière curative pour des sites existants et de manière préventive pour des sites en devenir. Ce qui est très apprécié par les différentes collectivités, c'est notre rôle sur des sites pilotes, pour lesquels nous proposons des modélisations ainsi que des concepts d'aménagement en allant jusqu'au choix des végétaux.
Que ce soit pour des études de service ou pour des assistances à maîtrise d'ouvrage, nous intervenons régulièrement en partenariat avec ECIC, le bureau d'études environnement-biodiversité Symbios'In, ainsi que l'Association climatologique de Moyenne Garonne (ACMG).
En quoi les végétaux sont-ils intéressants pour lutter contre les ICU ?
Au-delà de leurs qualités esthétiques, les végétaux offrent de nombreux bénéfices sur la gestion des eaux pluviales, la réduction des gaz à effet de serre, l'économie locale et le lien social, la qualité de l'air et le bien-être des habitants, la biodiversité en ville... Ils permettent surtout de rafraîchir la ville, en diminuant la température ambiante de 1 à 2 °C, voire jusqu'à 6 °C à un instant donné en un point donné (source : projet Epicea de la Ville de Paris). Ceci est possible par l'action combinée de l'ombre que projette la végétation (nous avons déjà observé 25 °C de différence de température de surface entre un matériau au soleil et le même à l'ombre) et celle de l'évapotranspiration. Le végétal est un climatiseur naturel qui prélève l'eau dans le sol pour la rejeter dans l'air sous forme de vapeur, provoquant un échange thermique entre l'air chaud et l'eau fraîche. L'air frais descendant par gravité, l'arbre est donc le meilleur climatiseur, car il rafraîchit l'espace au-dessus de nos têtes. Que ce soit sous la forme de bosquets, d'alignements, de parcs, de murs végétalisés, de toitures végétales..., tout type de végétation évapotranspirante permet de réduire les effets des ICU et contribue à éviter des catastrophes sanitaires comme la canicule de 2003.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement, par exemple ?
Nous venons de terminer l'étude des îlots de chaleur de Bordeaux Métropole (ainsi qu'un zoom sur le futur quartier de Brazza) (*), de la ville de Niort (79) et d'un quartier de la ville de Wuhan (en Chine). Dans une autre approche des méthodes de lutte des ICU, nous terminons une étude complète et plus spécifique sur le rôle de l'arbre en milieu urbain dans un contexte de changement climatique pour la Région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, avec entre autres, la création d'un outil de calcul de plusieurs indicateurs comme la capacité d'ombrage, le stockage carbone, l'impact sur la biodiversité, le captage des eaux pluviales, pour 27 essences d'arbres typiques de la région. Nous devrions commencer prochainement une assistance à maîtrise d'ouvrage où nous allons pousser la modélisation des températures en 3D, pour traiter du phénomène des ICU. Nous sommes également lauréats d'un appel à projets Engie sur des solutions pour traiter les ICU du pourtour méditerranéen, un travail sur une ville pilote devrait commencer dès cet été. En parallèle, nous poursuivrons notre mission sur ces problématiques en Chine en partenariat avec le conseil départemental de l'Essonne jumelé avec la ville de Wuhan.
Les collectivités - surtout les élus - ont-elles conscience de la problématique posée par les îlots de chaleur urbains ?
Beaucoup de collectivités françaises travaillent sur ce phénomène (Paris, Lyon, Grenoble, Bordeaux, Niort...), les autres s'y intéressent fortement. Les élus découvrent petit à petit ce phénomène, mais les différents services des communes (urbanisme et Agenda 21) se l'approprient vraiment, car cette problématique fédère et apporte de nouveaux arguments à de nombreuses autres études (Plans climat énergie territoriaux, Agenda 21, Trames vertes et bleues, Bilan Carbone...).
La conscience collective progresse doucement sur le sujet, mais nous avons encore beaucoup de retard sur nos cousins d'Amérique du Nord, notamment les Canadiens.
Finalement, le plus gros obstacle que nous rencontrons, c'est avec les aménageurs (les architectes et promoteurs plus particulièrement) : il est difficile d'échanger avec eux sur ce thème alors que ce sont eux qui créent la ville de demain. C'est regrettable.
Propos recueillis par Valérie Vidril
(*) Voir notre article Îlots de chaleur urbains : le végétal à la rescousse, en p. 12 et 13.
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